« Au petit matin, nous entamerons notre randonnée dans les monts Caucase » prévenait la brochure. Pour voir le Kazbek, j’étais prête à éructer des kilos de goudrons , à faire subir à mes mollets un traitement stalinien, à ramper sur les pierres, mais ces levers matinaux ne me disaient rien qui vaillent. Et c’est là où les Géorgiens et moi, sommes faits pour nous entendre …car nous ne partîmes pas avant dix heures. Et non sans avoir dégusté un petit déjeuner princier. Restes des succulentes côtelettes de la veille, servies avec des pommes de terre rissolées, dont la saveur me monte encore à la tête. C’est que la pomme de terre, quand c’est bon….c’est franchement délicieux. Et celle-ci ? Quelle mystérieuse espèce, forcément inconnue de mon supermarché ? Quoiqu’il en soit, tous les villages que nous traverserons dans les jours à venir la cultivent en quantité. Autre originalité de cette matinée : la salle de bains, une simple cabane de lauzes, au sol de béton et agrémentée pour tout mobilier d’un banc de bois. Pas l’ombre d’un miroir, ni d’un robinet. On monte sur une planchette de bois et un tuyau savamment disposé dispense son eau tiède, température aquatique que nous ne goûterons pas avant plusieurs jours.
Nous entamons le trek, en descente pour bientôt remonter vers le Nord. Bientôt nous devons sortir du chemin, aux contours pourtant dessinés. Gela nous explique que ce chemin est interdit aux femmes, coutume ancestrale qui me choque d’autant plus que je croyais les Géorgiens à la pointe du féminisme des montagnes. Malgré mes questions, cette règle reste inexpliquée. Et il y a peu de chances qu’une entrée dans l’Europe suffise à l’abolir, si l’on se réfère à l’échec du Parlement européen qui à plusieurs reprises a sans succès demandé aux moines du Mont Athos d’abolir une disposition identique (nommée Abaton et datant de 1045).
Heureusement, l’interdit n’étend son empire que sur quelques dizaines de mètres et nous voici de nouveau sur le chemin, pénétrant dans une vaste vallée arborée. Nous commençons à gravir le flan Ouest et découvrons au loin le mont Piklo, perchoir impressionnant semblant abriter au moins tous les aigles de création.
A l’ombre d’un bel arbre, nous effectuons une courte pause. Gela nous donne des citrons grâce auxquels nous voici partis, bondissant tels des chamois sur les pentes escarpées pour atteindre le col, situé plusieurs centaines de mètres au-dessus de notre vallée. En chemin, nous croisons un tchétchène – et son cheval – qui nous indique un de ces innombrables raccourcis pentus dont raffolent les montagnards du coin. Au sommet, je ne peux m’empêcher de photographier une jolie petite fleur d’un rose très vif, aux allures alpines, que voici.
Lors de la descente que je compris que nous avions pénétré au royaume des fleurs, dont voici un petit aperçu.
En visitant ce site extraordinaire, vous pourrez voir des tas de fleurs du Caucase et d’ailleurs
Nous redescendons, traversant une forêt touffue, pleine d’essences inconnues et de bouleaux, puis atteignons un torrent des plus impétueux. Les torrents sont légions dans cette vallée de Pirikita Alazani que nous venons de rejoindre. Ils en sont la puissance et la gloire, déversant leur frais mépris, emportant ponts, chemins et arbres, creusant inlassablement leurs voies sous les congères, dans un fracas assourdissant. A leur vue, on imagine facilement la naissance de la légende de la Toison d’Or (il y eut bien de l’or dans les torrents Géorgiens, mais plus à l’Ouest, en Svanétie, et sont depuis peu épuisés).
Ce premier mythe facilement traversé (ce ne fut pas toujours le cas), nous entamons la remontée dans un sous-bois d’un vert très dense. Gela et Olivier marchent en tête, dopés par les agrumes. Mon allure botanique, plus lente, me permet d’identifier un massif de fraises des bois hors classe. Je vous assure que si l’UNESCO s’occupait des fraises…J’hésite à faire la récolte du siècle, mais me sachant attendue, je remplis ma paume en quelques instants et rejoins mes camarades qui sous-estiment la trouvaille. Nous atteignons à nouveau des hauteurs herbeuses. Les pentes sont vertigineuses. Bientôt, à l’issue d’une courbe, nous nous trouvons nez à nez avec de l’or en fusion. Sous le soleil, un large torrent fait briller son métal bienveillant. Les hommes ont aménagé plusieurs captations avec des pierres et du bois. Nous y passons un long moment, pique niquant au beau milieu de l’eau.
La suite : Le glas sonnera